Changement climatique et dollar spot en France

L’été est enfin terminé : place désormais à l’automne. Il aura été historique par son aspect météorologique. En effet, il représente le deuxième été le plus chaud jamais observé en France depuis au moins 1900 avec un écart de +2.3°C par rapport à la moyenne 1991-2020. Le record restera l’été 2003 avec ses +2.7°C d’anomalie. La sécheresse en revanche aura atteint un record avec un déficit moyen de pluviométrie atteignant les 25% à l’échelle nationale sur juin/juillet/août venant aggraver une situation déjà déficitaire de 33% de janvier à juillet ! Ce dernier phénomène aura fortement marqué les esprits et représente un vrai challenge dans la gestion des surfaces engazonnées qui auront subit les restrictions imposées par la loi.

Print page

Situation sanitaire

En ce qui concerne la situation sanitaire et notamment pour le dollar spot, les périodes de très fortes chaleurs donnent lieu à deux types de situations sur le territoire. Dans une autre newsletter, j’évoquais les conditions météorologiques propices au développement de la maladie avec un optimal de température compris entre 15 et 30°C associé une humidité relative de l’air élevée (supérieure à 80%). 

Dans les régions continentales éloignées de la mer, des températures élevées sont souvent associées à un air sec peu propice au développement de la maladie, si l’arrosage n’est pas excessif. Dans ce cas, ce sont principalement les vagues de perturbations avec des précipitations orageuses qui mènent à l’apparition du mycélium caractéristique du champignon. A noter toutefois qu’un arrosage nocturne abondant peut donner lieu à une humectation foliaire prolongée associée à un risque non négligeable de développement du pathogène. 

Dans le Sud-Ouest à l’extrême et sur les régions atlantique ou méditerranéenne, il n’est pas rare de voir l’humidité relative de l’air dépasser les 80% les nuits malgré des températures supérieures à 30°C en journée. Par exemple, la température maximale à Biarritz le 11 août aura atteint les 36.8°C à 16h00 quand l’humidité de l’air était de 90% avec une température de 25°C à 1h00 du matin ! Des conditions de forte humidité la nuit avec des températures nocturnes supérieures à 20°C représentent le cas de figure parfait pour le dollar spot mais également pour d’autres pathogènes. Dans ces régions, en plus du développement favorisé par les vagues de perturbations et précipitations associées (notamment plus régulières que dans les régions continentales), le développement du dollar spot est également possible en l’absence de précipitations avec un climat favorable aux rosées : un vrai challenge pour les intendants.  

Développement du dollar spot en France en 2022 à partir du modèle Smith-Kerns

Ainsi, pour le dollar spot, les premiers symptômes auront été aperçus dès les premières perturbations traversant le pays fin avril/début mai suivis par une vague de développement entre la mi-mai et la fin mai en fonction des précipitations locales. Rappelons qu’à cette période, les températures minimales journalières dépassaient les 8-10°C et les maximales atteignaient déjà les 20-30°C. Se sont ensuite succédées plusieurs vagues principalement en juin (plusieurs perturbations), mi-août puis mi-septembre avec l’arrivée des orages fréquents à cette époque.  

Le modèle Smith-Kerns1 évoqué dans la newsletter précédente évalue la probabilité d’apparition du dollar spot. Ceci permet à l’intendant d’anticiper les éventuels traitements suivant une valeur seuil de probabilité estimée à 20% par les chercheurs à l’origine du modèle mais ajustable suivant les caractéristiques de chaque site (fertilisation, microclimat, variétés plus ou moins résistantes, …). Il suffit d’utiliser les prévisions météorologiques et/ou de l’historique météorologique du site pour évaluer le risque sanitaire à venir. J’utilise personnellement le modèle d’une autre façon : en revenant sur l’historique de différents sites pour faire des synthèses annuelles ou encore pour connaître la répartition du risque à l’échelle du territoire français (voir plus loin dans cet article). La figure 1 représente l’évolution de la probabilité moyenne d’apparition du dollar spot sur le territoire français issue des données de température et humidité relative des 40 stations synoptiques françaises de Météo-France. J’ai également ajouté les moyennes des précipitations journalières nationales jusqu’à octobre 2022. Ceci permet de voir le lien qui existe entre les précipitations et la probabilité d’apparition de la maladie. J’ai enfin indiqué les périodes de « vagues » de symptômes observées sur le terrain. Le modèle représente ainsi assez fidèlement les périodes de développement du pathogène. 

 

 

En ce moment, le champignon se développe avec des symptômes encore visibles. Cette semaine douce précédée par une semaine plus fraîche mais pluvieuse et nuageuse aura favorisé de fortes rosées. Depuis Septembre, il n’est également pas si rare d’observer dollar spot et fusariose froide sur le même site ! Il faudra attendre l’arrivée des premiers froids pour stopper le dollar spot sur une grande majorité du territoire. 

 

Répartition de la probabilité d'apparition du dollar spot sur le territoire français de 2018 à 2022

// Répartition de la probabilité d’apparition du dollar spot sur le territoire français de 2018 à 2022 

La carte 1 représente la probabilité d’apparition de la maladie à l’échelle de la France pour 2022 (à droite) en comparaison à la moyenne des 5 dernières années (2018 à 2022 : à gauche). A noter que cette cartographie représente les grandes tendances à l’échelle du territoire puisqu’elle est seulement issue des données météorologiques de 40 stations (avec l’avantage d’utiliser des données réelles). 

A l’échelle du territoire, pas de changement majeur pour 2022 en ce qui concerne les zones les plus à risque. Ces dernières se retrouvent sans surprise le long des côtes françaises par lesquelles les perturbations arrivent et déversent leur lot de précipitations. La proximité de la mer ou de l’océan limite les températures très basses et favorise une humidité plus élevée : conditions favorables au dollar spot. Bien entendu, cette carte ne signifie pas que le dollar spot ne se développe pas ailleurs mais qu’il y a plus de jours par an où la probabilité d’apparition est non négligeable du fait du climat plus doux et humide plus tôt et plus tard dans l’année. 

 

C’est pourquoi j’ai cherché en complément à situer les régions avec le risque le plus élevé dans l’année (un des 365 jours de l’année, voir carte 2). On retrouve également la même répartition avec toutefois quelques nuances sur les régions continentales et sur le pourtour méditerranéen. La carte 1 représente ainsi la probabilité moyenne d’apparition de la maladie sur une année ou plusieurs années alors que la carte 2 représente la probabilité maximale estimée sur cette même période pour chaque station. 

 

Enfin, j’ai également cherché à comparer les 5 dernières années avec l’historique de la probabilité d’apparition de la maladie à l’échelle du territoire (toutes stations confondues, voir figure 2). Pour l’instant, 2022 semble comparable à 2018, 2019 et 2020 en termes de probabilité d’apparition alors que 2021 cumulait le plus grand nombre de jour où la probabilité était supérieure à 20% (seuil de traitement pour des variétés relativement sensibles). 

 

 

Remarque : pour ceux qui veulent en savoir plus, j’avais tenté d’évaluer l’impact du changement climatique sur le risque d’apparition du dollar spot : l’article est accessible via ce lien. 

Cas pratique avec un itinéraire de protection

En pratique, comment utiliser le modèle ? La méthode la plus fiable consiste à installer une station météorologique sur le golf. Le site d’implantation devrait être le plus représentatif des zones à risque. En pratique, les stations servent également à évaluer l’évapotranspiration potentielle donc elles devraient être installées dans une zone dégagée de tout ombre et relativement représentative du « climat moyen » à l’échelle du parcours. Le modèle Smith-Kerns a l’avantage de déterminer une probabilité qui peut être ajustée suivant les zones. 

Il est également possible d’utiliser les données des stations météorologiques les plus proches. L’association infoclimat met à disposition les données de nombreuses stations qui couvrent très bien le territoire français (usage non commercial). 

Il est enfin nécessaire d’utiliser les prévisions météorologiques pour évaluer le risque des jours à venir en utilisant les températures et humidités relatives moyennes (le site meteociel permet d’estimer ces moyennes par exemple avec les prévisions à 3 jours ou tendances à 10 jours). 

Le greenkeeper peut ensuite évaluer la probabilité d’apparition de la maladie en utilisant un tableur (exemple de tableur téléchargeable via ce lien).

La figure 3 représente l’historique de la probabilité d’apparition pour la région de Bordeaux.

 

Imaginons ne pas connaître l’intégralité de l’historique et anticiper nos décisions à partir des prévisions météorologiques à 5 jours. Les surfaces engazonnées à risque sont composées de pâturin annuel ou variétés d’agrostide sensibles à la maladie avec comme objectif très peu de tâches au m². 

  • Le risque grimpant en avril et début mai avec une probabilité assez faible (inférieure à 20%, supposant une pression faible) les méthodes alternatives (exposées dans la newsletter précédente, liste non exhaustive) ou l’utilisation de produits de biocontrôle adaptés aux pressions faibles à modérées peuvent être envisagées. 

  • A partir de l’apparition des premiers symptômes, l’intendant devrait alors noter régulièrement la pression de la maladie (sur une échelle simple de 0 à 5 par exemple) et la comparer à la probabilité estimée par le modèle. 
  • Quand les symptômes observés deviennent inacceptables (l’inacceptabilité étant très subjective : pour l’aspect esthétique ? Pour le jeu ? Voir la figure 4) l’intendant peut alors déterminer à quelle probabilité d’apparition correspond ce seuil où un traitement avec un fongicide de synthèse devient inévitable. Avec des variétés résistantes par exemple, le seuil de 20% initialement évalué par les chercheurs peut être largement revu à la hausse. 

  • Lorsque le risque approche les 20% avec plusieurs jours prévus au-delà du seuil, un traitement fongicide peut alors être déclenché préventivement, il sera bien plus efficace que placé trop tard (curatif). 

  • Dans notre exemple, l’application du premier fongicide aurait pu être réalisée fin Mai/début Juin alors que le risque commence à dépasser les 20%. L’expérience par rapport au seuil de traitement permet éventuellement de sauter cette application ou de maintenir le biocontrôle et les méthodes alternatives uniquement. 

  • Une seconde (ou première) application aurait probablement été nécessaire fin juin avant ou suite aux précipitations de la fin du mois. 

  • Le mois de juillet étant plus sec, les méthodes alternatives et le biocontrôle seuls auraient été envisageables. 

  • Les orages de la deuxième partie du mois d’août sur des sols bien chauds représentent généralement des conditions très favorables au dollar spot : dans ce cas il aurait été judicieux sans se poser trop de question de réaliser une 3ème voire 4ème application de fongicide suivant le niveau de symptômes toléré. Suivant l’expérience et si le 3ème fongicide a été bien placé, les méthodes alternatives ou le biocontrôle aurait permis d’économiser la 4ème application. D’autant que le gazon est encore bien poussant à cette époque, permettant une bonne récupération des symptômes. 

  • Enfin, la pression étant plus faible sur Septembre, biocontrôle et méthodes alternatives peuvent permettre de passer le mois sans trop de casse. 

  • Le risque remontant en octobre suite aux précipitions et au redoux de la semaine, une dernière application de fongicide aurait pu être envisagée. Libre aux expérimentés de tenter uniquement le biocontrôle. Le climat allant vers l’automne et des températures plus fraîches peu favorables à la croissance, le risque à cette époque est de laisser se développer des symptômes que le gazon aura du mal à récupérer. De plus, les conditions étant quasiment favorables à la fusariose froide, cette dernière application constitue éventuellement un traitement préventif pour cette dernière. 

    Evidemment cet exemple reste théorique et seules les observations de terrains permettent de prendre les bonnes décisions mais il a l’avantage de présenter la méthode. Libre au greenkeeper de l’adapter suivant ses besoins. 

 

Les fongicides de synthèse Envu pour le traitement du dollar spot

Dans notre exemple, entre 3 et 5 applications de fongicides aurait pu être envisagées suivant la pression, l’itinéraire technique (notamment fertilisation) et les caractéristiques du site (notamment les variétés installées). 

Evidemment, il est primordial d’alterner au maximum les familles chimiques pour limiter le risque de résistance au dollar spot. Ce risque est d’autant plus présent que le pathogène se développe sur une période longue nécessitant parfois plusieurs traitements (lire cet article pour en savoir plus sur la résistance des pathogènes aux fongicides).

Les fongicides disponibles chez Envu homologués sur dollar spot sont formulés de manière à limiter le risque de résistance :  

ExterisStressgard combine une matière active de la famille des SDHIs et une strobilurine (2 applications par an au maximum). Sa formulation Stressgard® est d’autant plus intéressante qu’elle a des effets stimulants et contient un pigment qui limite les conséquences des radiations solaires trop intenses lors de la période estivale. 

Dedicate qui combine une triazole et une strobilurine (2 applications par an au maximum). 

Comme évoqué précédemment, l’efficacité de ces produits est supérieure lorsque ces derniers sont appliqués de manière préventive (d’où l’utilité du modèle évoqué plus haut) ou curative précoce. Traiter sur des symptômes bien installés favorise le risque de résistance et diminue l’efficacité des produits.

 

Notes sur l'anthracnose

L’anthracnose a tendance à se développer à la fin de la période estivale. Il n’est ainsi pas rare d’observer fusariose froide et anthracnose à la fin de l’été/début de l’automne. C’est le cas cette année. 

L’anthracnose étant un pathogène sujet au développement de résistance, le Fosetyl-aluminimum présent dans le Signature XTRA Stressgard représente une solution intéressante dans la lutte contre le pathogène de par son mode d’action peu favorable à l’apparition de résistance. J’ai déjà constaté l’efficacité de cette matière active dans des cas où d’autres familles ne donnaient plus résultats. A noter que parmi les phosphonates, une étude a démontré l’efficacité supérieure du Fosétyl-Al sur anthracnose.

Le produit est d’autant plus intéressant à cette période qu’il a une action sur fusariose froide, déjà observable depuis Septembre sur une partie du territoire. Ainsi, sur les golfs sujets à l’anthracnose, les applications de Signature XTRA Stressgard représentent une solution intéressante. 

Références 

I. Smith, D. L. et al. Development and validation of a weather-based warning system to advise fungicide applications to control dollar spot on turfgrass. PLOS ONE 13, e0194216 (2018). 

 

Romain GIRAUD, Agronome et auteur de la Clinique du Gazon

Titulaire d’un Master obtenu à la faculté de géosciences et l’école supérieure d’agronomie de Rennes, Romain travaille depuis plus de 11 ans pour l’industrie du gazon. Il a été responsable R&D pendant 8 ans chez un distributeur d’engrais/semences/produits phytosanitaires puis chargé de recherche en agronomie depuis 3 ans pour un des leaders français de la construction et maintenance des terrains de sports. Passionné par les pathologies du gazon, les outils de monitoring et la fertilisation de précision, il est également auteur du blog la « Clinique du Gazon » sur lequel il synthétise les résultats des recherches sur le gazon disponibles à travers le monde.